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Et si... Bède le Vénérable avait lu Akira Toriyama

Et si... Bède le Vénérable avait lu Akira Toriyama
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6 mars 2013

Wolverine & The X-Men

Wolverine-and-the-X-Men-03pg01Comme dirait le Roi Heenok : cours l'acheter ! cours l'acheter ! cours dans ton putain de comicshop ou ton putain de kiosque acheter ce putain de magazine mensuel intitulé Wolverine, parce que là-dedans depuis le numéro 1 de juillet y'a la putain de série Wolverine and The X-Men, et ça mon garçon, ça envoie la putain de sauce !

Certes certes certes. Okay. Maintenant essayons quand même d'expliquer pourquoi il faut lire cette série un peu plus calmement. Déjà, de quoi s'agit-il? Pour faire vite, ce griffu de Wolverine a décidé d'ouvrir sa propre école pour jeunes mutants, l'institut Jean Grey, épaulé par quelquesuns de ses congénères en guise de professeurs (Kitty Pride, Le Fauve, Iceberg...), qui vont devoir s'occuper d'une vingtaine d'élèves - assez turbulents au demeurant. Et évidemment, les problèmes ne vont pas tarder à pleuvoir sur tout ce petit monde... c'est que Jason Aaron sait y faire en la matière.

C'est qui celui-là ? rien moins que la nouvelle coqueluche des fans de comics depuis qu'il a sortit sa série Scalped sous le label Vertigo de DC Comics, et qu'il est passé sur des personnages comme le Punisher ou le Ghost Riderchez Marvel. Depuis tout le monde aime Jason, et je me suis rallié à la cause entretemps. Parce que ce tumblr_lq709vvmti1qg1iejo1_500mec sait nous titiller où il faut, comme il faut et quand il faut, du coup la lecture de son "Wolverine and The X-Men" est juste un putain de pur plaisir. On enchaîne surprises sur surprises, coups de théâtre sur coups de théâtre, tournant les pages avec frénésie, complètement aggripés par cette lecture à 200 à l'heure. C'est délirant, fun, prenant, drôle, plein de fraîcheur, d'enthousiasme et de souffle, parfois tragique, et surtout carrément jouissif à lire. Ca foisonne d'éléments à chaque page, avec de l'humour, de la baston, des clins d'oeil, de l'action... et une galerie de personnages hors-normes carrément bien maîtrisée ! Déjà que le scénario en lui-même bénéficie d'une construction intelligente, déroulant des intrigues parallèles sans perdre le lecteur, posant subtilement les bases des histoires à venir, développant des idées et des concepts qui nous sautent à la gueule tellement ils sont géniaux, et donc une galerie de personnages impressionante. Jason Aaron parvient à développer le caractère de tout un tas de personnalités  très différentes sans nous perdre pour autant, caractérisant à merveille les différents protagonistes qui parsèment les intrigues... à tel point que Wolverine se fait clairement voler la vedette par ses élèves et les autres intervenants satellites ! (mention spéciale aux Bamfs, ces petits monstres bleus qui grouillent dans l'école et passent leur temps entre vols de wiskhy et recherche de conneries à commettre - Wolverine_and_the_X-Men_Vol_1_10mais aussi Quentin Quire, Broo, le Fauve, Iceberg, Le Crapaud, Kid Gladiator...). Une galerie de personnages aux caractères bien trempés, à la psychologie travaillée, très attachants, assez délirants, et surtout dont on sent qu'Aaron a encore beaucoup de choses à dire. Ca se chamaille, ça se rapproche, ça se chambre, ça se bastonne, ça part sur une planète-casino piquer plein de thunes, ça fomente des rebellions, ça s'infiltre dans les circuits sanguins d'un de ses professeurs, ça se castagne avec un super-scientifique de ll'espace, ça affronte Dents de Sabre sur une base spatial (mythique ce combat!), ça doit faire face à un truc gigantesque qui veut bouffer l'école... de la bombe je vous dis ! y'a un milliard d'éléments intéressants à la seconde, ça bouillonne d'idées, et ça en devient carrément addictif ! Il y a un peu de Chris Claremont, un peu de Grant Morrison, un peu de Josh Whedon dans l'écriture de Jason Aaron - autrement dit les scénaristes les plus intéressants ayant eu à charge l'équipe des X-Men -, mais surtout une patte franchement personnelle et originale.  

Côté dessins on a deux artistes qui alternent selon les épisodes, aux styles très différents mais qui chacun colle parfaitement au ton de la série. D'un côté Chris Bachalo et son graphisme foisonnant, au style exubérant, très fouillis -trop par moments-, avec un côté un peu manga dans la représentation de ses personnages, des cadrages très rapprochés et un trait assez "organique" qui peut donner de très belles choses sur certaines séquences ; en face c'est Nick Bradshaw qui s'y colle, opposant la clareté de son trait au bordel du style Bachalo. C'est très précis, efficace, et l'auteur n'hésite pas à utiliser la clareté de son style pour parsemer ses arrière-plans de petits détails marrants, mais il faut avouer que malgré l'efficacité des graphismes du monsieur ça manque un peu de la matière brute que l'on retrouve plus facilement chez Bachalo. Peu importe, l'un comme l'autre servent à merveille les scripts de Jason Aaron, qui par la suite va associer quelques autres dessineux au titre.

Bon c'est bien beau tout ça, mais ou est-ce qu'on peut la trouver cette série ? pas compliqué, elle a débuté dans le numéro 1 du mensuel Wolverine paru en juillet 2012 et continue de paraître encore aujourd'hui avec le numéro 9 de mars qui a recouvert les étales de nos chers kiosques et de nos chers comicshops il y a peu. Fu-fu-fu-fu-fume ça, c'est d'la race !

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12 juin 2012

Daredevil by Bendis & Maleev

Daredevil FirstLa nuit il est Daredevil, héros costumé déguisé en diable qui sillonne les ruelles de son quartier, Hell's Kitchen, coupe-gorge new-yorkais dont il essaye tant bien que mal de tempérer les flambées de violence. Le jour, l'Homme sans peur laisse la place à Matt Murdock, avocat du barreau que la cécité rend aussi aveugle que ce que devrait l'être la justice à laquelle il a décidé de consacré sa vie. Aveugle certes, mais dont tout les autres sens, grâce à une substance radioactive avec laquelle il a été en contact suite à un accident de la route vécu enfant, possèdent une sensibilité accrue, lui donnant une perception du monde extérieur exceptionnelle. Voici donc Daredevil, l'Homme sans peur, Tête-à-Cornes, le diable rouge d'Hell's Kitchen. Créé en 1964 par Stan Lee et Bill Everett, il restera longtemps un personnage secondaire de la Marvel (malgré le passage remarqué de Gene Colan sur le titre entre 1966 et 1973), jusqu'à l'arrivée providentielle de Frank Miller sur la série en 1979 pour assurer la partie graphique, puis texte et dessin à partir de 1981. Le futur auteur de Dark Knight Returns, Sin City et 300 révolutionne le personnage et transforme la série en polar sombre et psychologique, propulsant le titre au sommet des ventes (sa saga "Born Again" avec David Mazzucchelli en 1985 est considérée comme l'apogée de son run sur le personnage). Par la suite d'autres auteurs arriveront à tirer leur épingle du jeu, mais aucun n'égalera la prestation de Frank Miller. Un constat que certains commencent pourtant à remettre en cause à partir de décembre 2001... une date qui marque l'arrivée d'un nouveau duo sur la série.

Il fait partie de ces tandems historiques qui marquent régulièrement la bande dessinée américaine. Stan Lee et Jack Kirby. Neal Adams et Dennis O'Neil. Chris Claremont et John Byrne. Neil Gaiman et Dave McQueen. Garth Ennis et Steve Dillon. Jeph Loeb et Tim Sale. Grant Morrison et Frank Quitely. Brian Azzarello et Eduardo Risso. Et enfin Bendis et Maleev qui, comme tout les autres, n'ont jamais été aussi bons qu'ensemble. Et jamais aussi bons ensemble que sur Daredevil, personnage sur lequel ils commencent à travailler en 2001. Cinq ans, 51 épisodes mensuels et deux Eisner Awards plus tard, le résultat est là : un sommet. L'équipe de choc que forment le scénariste Brian Michaël Bendis, le dessinateur bulgare Alex Maleev et le coloriste Matt Hollingsworth (remplacé sur les 15 derniers épisodes par Dave Stewart, talentueux mais moins inspiré que son prédécesseur) va faire des merveilles et nous livrer l'une des meilleures séries super-héroïques de toute l'histoire des comics.

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Si Alex Maleev n'est encore qu'un jeune dessinateur est-européen plein de potentiel lorsqu'il débute sur Daredevil, Brian Michaël Bendis, lui, est déjà un auteur confirmé, pas encore la star des comics qu'il deviendra par la suite chez Marvel, Daredevil ombremais ses polars publiés en indépendant (Jinx, Torso, Goldfish) et ses histoires mélangeant super héros et récits policiers (Powers, Sam & Twitch, Hellspawn) ont déjà connu un succès critique et public évident. Néanmoins, il n'a pas encore déployé aux yeux du public toute l'étendue de son talent, chose qu'il fait définitivement avec Daredevil tant l'auteur mettra tout son cœur sur cette œuvre. Grand amateur de polars noirs, son Daredevil se devait d'être sombre, réaliste, ancré dans une réalité dure et brutale. Les méchants costumés sont bien sûr de la partie, mais les vrais ennemies du Diable Rouge ce sont les dealers, braqueurs, porte-flingues, caïds et gangsters en tous genres qui hantent les ruelles sombres d'Hell's Kitchen dès l'arrivée du crépuscule. Et à l'aube, c’est au tour des vieux démons du justicier masqué de venir hanter Matt Murdock, l'avocat aveugle aussi célèbre à New-York que son alter ego drapé de rouge. Deux identités distinctes qui empiètent l'une sur l'autre, se nourrissant et se démolissant mutuellement, faisant de l'homme au centre de ce bordel cérébral un quasi-schizophrène perdu, tourmenté, derrière la façade imposante de "l'homme sans peur" qu'il s'est forgé au fil du temps. C’est à travers ce prisme que Bendis dote Daredevil d'une personnalité fouillée et complexe et d'une profondeur dd32fullqui n'avait jamais été à ce point développée auparavant, même à la grande époque de Frank Miller. Par contre le scénariste reprend bien le canevas que l'auteur de Sin City a instauré dans les années 80 : les ennuies pleuvent sur l'avocat aveugle, ce qui n'arrange en rien ses problèmes intérieurs et le font flirter avec la dépression nerveuse. Tout au long de la série ce sera donc démêlés avec les médias (qui ont découvert son identité secrète, point de départ de toute un enchaînement de péripéties qui ne trouveront leur conclusion qu'avec le dernier épisode du run des deux auteurs), tracas avec la justice, bagarres contre la suprématie de la pègre à Hell's Kitchen qui connaît alors de nombreuses guerres de succession, vie amoureuse compliquée qui n'arrange rien, le passé qui ressurgit sans cesse, et surtout un combat intérieur féroce contre soi-même. Ni Daredevil ni Matt Murdock n'en sortiront indemnes. Autour de ces deux entités, ce sont tous les personnages classiques de la mythologie daredevilienne qui sont utilisés par Bendis : sa Némésis Bulleseye, l’ami de toujours Foggy Nelson, Elektra l'amour perdu, l’ennemie juré Wilson Fisk alias Le Caïd, le journaliste Ben Urich, le super-vilain Le Hibou, l’agent du SHIELD Natasha Romanov aka La Veuve Noire, Spider-Man, Luke Cage, Iron Fist, Jessica Jones, J. Jonah Jameson, Le Gladiateur... Bref, pour ceux qui suivent un tant soit peu l’univers Marvel, des personnages bien connus.

Et au milieu de tout ça : Daredevil, couleur brique, le Diable d’Hell’s Kitchen qui débarque avec fracas dans la mêlée, la rage aux tripes, dont chaque apparition se fait quasi surnaturelle tant le rouge éclatant de son costume tranche avec  daredevilv2-035-02o7yiles teintes sombres choisit par Matt Hollingsworth pour mettre en couleur cet univers si particulier. Colorisation à la sobriété exemplaire, aux nuances ternes et froides en parfaite adéquation avec le ton de chaque scène, formant une alchimie unique avec le graphisme d’Alex Maleev. Et celui-là, putain quel talent ! Qu’aurait été ce Daredevil sans sa patte unique ? Pas envie de le savoir, ça me déprimerait. En revanche ce qui m’émerveille à tous les coups c’est ce qu’il a accomplit sur ce titre. Au-delà de l’expressivité des visages qu’il dessine, comme pris sur le vif d’une expression grâce à l’utilisation récurrente de photos dans son travail, au-delà de son encrage épais et fouillé, nerveux, fracturé, au-delà de son découpage soigné et clair, souvent tramé de noir, qui donne une impression de densité et de massivité, au-delà de son incroyable don d’illustrateur qui lui a permit de signer les magnifiques couvertures de la série avec une réelle intelligence de la composition, il y a ce trait, ce trait exceptionnel qui semble porter en lui toute les tragédies du monde, qui laisse émaner de tous ses recoins une violence et une dureté qui lui sont comme intrinsèques. Un graphisme unique qui donne à chaque scène une intensité incroyable, qui fait oublier que le style d’Alex Maleev est on ne peut plus statique ; c’est d’ailleurs une approche originale de la bande dessinée : là où priment habituellement mouvement, fluidité, dynamisme, ce sont ici une suite d’instantanés figés qui sont utilisés, très lisibles de par le découpage, les angles et les compositions choisis (ce qu’on appelle le storytelling en anglais), mais figés malgré tout, comme des accords musicaux qui s’enchaînent à merveille mais sont marqués par de courts silences entre chaque note.

daredevilv2-033-03coamEt c’est là qu’intervient Brian Michaël Bendis, qui par son sens du dialogue exceptionnel insuffle aux pages de Maleev le rythme et le dynamisme qui lui font défaut, qui lie toutes les cases en un tout cohérent et fluide. L’auteur maîtrise l’art de la formule et des silences à la perfection et découpe ses dialogues au millimètre, sachant faire alterner ses bulles avec intelligence et sens du rythme, tentant de retranscrire le plus de réalisme et de véracité possible dans chacun des échanges verbaux qu’il écrit, n’hésitant d’ailleurs pas à se fixer longuement sur des personnages secondaires et des dialogues facultatifs qui lui permettent d’instaurer l’ambiance si particulière qu’il a voulu donner à la série et d’agripper sans mal le lecteur. Parce qu’avec ça Bendis possède un talent d’écriture indéniable, il sait raconter une histoire et tient son lectorat en haleine sans l’ennuyer un seul instant, donnant à la série, au-delà des intrigues petites et grandes qui la parsèment, une logique d’ensemble, une vue à long terme qui prouvent que le mec tient réellement son scenario. 

Au final ces auteurs de talent nous donnent à lire une véritable leçon de bande dessinée, un résultat à la perfection quasi-totale, une alchimie incroyable. Bendis a imposé son génie sur cette série, Maleev y a apporté un graphisme d’une efficacité sans pareil. Sous leurs plumes, la série Daredevil est devenu un de ces classiques modernes qui marquent leur époque, marquent une génération, et ont marqué le lecteur que je suis à tel point qu’il considère depuis ce titre comme la meilleure série super-héroïque qu'il ait eu à lire.

Les successeurs du duo Bendis/Maleev (qui de leur côté collaboreront à nouveau), à savoir le dessinateur Michael Lark et le scénariste Ed Brubaker, déjà auteurs de la remarquée série Gotham Central, ont repris la série pour le plus grand plaisir du lectorat comics le temps de 37 épisodes de grande classe, assurant une continuité parfaite avec la période précédente, avant de passer le relais à des équipes moins inspirées... Peu importe, Matt Murdock aka Daredevil aka le Diable Rouge aka Tête-à-Corne aka l’Homme sans Peur n’en ressortira qu’encore plus flamboyant. A charge de revanche les mecs !

« Au fond, la vie que tu as choisie n'est qu'un cercle vicieux de souffrance. C'est toi qui l'a créé, ce cercle de souffrance. Et il repart au début chaque fois que tu mets ton costume. »

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8 mai 2012

676 apparitions de Killoffer

9782844141095_cgSodome a eu ses 120 journées. Killoffer aura, lui, 46 planches et 676 apparitions de lui-même pour laisser libre cours à tous ses vices. Son œuvre la plus aboutit, la seule, peut-être, qui le soit totalement pour cet auteur trop rare qui déborde de talent, l'un des sept fondateurs de l'Association, que l'on a plus vu œuvré sur des récits courts (Le Rock et si je ne m'abuse le Roll, Billet SVP, Quand faut y aller...) que sur des albums complets (excepté Viva Patamach, avec Jean-Louis Capron au scenario). Et s'il ne fallait garder qu'une seule production du type, ce serait celle-là. Il y parle de lui sans parler de sa vie, se met en scène sans faire de l'autobiographie, scrute son inconscient sans céder au "moi je". Et déploie une énergie créatrice exceptionnelle pour mettre tout ça en désordre. Une psychanalyse graphique qui, au fond, en dit beaucoup plus sur son auteur que beaucoup de bandes dessinées purement autobiographiques.

Ca commence pourtant assez classiquement. Une sorte de carnet de voyage où Killoffer couche sur papier ce qui lui passe par la tête alors qu'il se trouve au Québec, digressions sur la vaisselle laissée en plan à Paris, sur les femmes, cynisme désabusé, gouaille de trentenaire. Puis au bout de 10 pages tout bascule, sans prévenir. Le texte disparaît, nous laisse en tête à tête avec le seul dessin, tandis que l'avatar de Killoffer, lui, se dédouble à l'infini. C'est alors que débute le festival. L'inconscient du bonhomme KILLO11s'étale à tout bout de planches, les dizaines d'ersatz de Killoffer exprimant autant de pulsions, de fantasmes, d'angoisses, de névroses du Killo originel, lequel, comme dernier rempart de sur-moi qu'il lui reste, se bat alors avec frénésie contre tous ces refoulements qui remontent à la surface pour mieux éclater au grand jour. Un défouloir psychanalytique qui laisse s'exprimer toute la maestria du dessinateur : les cases n'existent plus, les dessins et les instants s'imbriquent, s'emmêlent, se confondent avec ivresse, on perd pied, pris dans un tourbillon graphique qui fait se mélanger les moments, les lieux, les temporalités et les espaces en un seul espace-temps commun au sein de chaque planche où, au même endroit, tout semble se dérouler simultanément. Sexe, violence, alcool, bouffe, paresse, méchanceté, lâcheté, saleté. Ca en devient morbide et glauque à souhait, malgré la propreté et l'exactitude du trait de l'auteur : géométrie des lignes, style épuré et minimaliste, graphisme extrêmement lisible, et une maîtrise des contrastes noir/blanc exceptionnelle. Le tout fini en une apothéose aussi macabre et gerbante que ce que l'ensemble laissait redouter. Le voyage laissera peut-être indemnes ceux qui n'auront pas réussit à entrer dans l'album, mais transportera les autres. Il fut court, certes, mais assez intense pour retourner un estomac. Au fond, Killoffer et ses apparitions sont un peu comme tout le monde. C'est ça qui trouble tellement.

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4 avril 2012

Ibicus de Pascal Rabaté

« Quand le monde s'écroulera dans le feu et le sang, quand la guerre rentrera dans les maisons, quand le frère tuera le frère, toi tu deviendras riche ! tu vivras des aventures extraordinaires, mais tu seras riche ! »

9782869676923FSTelles sont les paroles qu’une diseuse de bonne aventure lâcha un beau jour à Siméon Nevzorof. Quatre ans plus tard nous sommes en 1917, la révolution gronde en Russie, Siméon se remémore les paroles de la gitane, pense son heure arrivée. Il n’est en fait pas au bout de ses peines...

Œuvre magistrale orchestrée par un Pascal Rabaté au sommet de sa forme, Ibicus est une série en 4 tomes parus entre 1998 et 2001 chez Vents d’Ouest, disponibles également dans une version intégrale de plus de 500 pages, et adaptant de manière très libre un roman écrit par Alexeï Tolstoï (pas Léon) en 1924. Il y est donc question d’un homme, Siméon Nevzorof, antihéros complet dont le portrait est génialement brossé par ce bougre de Pascal Rabaté tout au long des 500 pages de son récit. Sorte de nihiliste immature à la nonchalance outrancière et au dandysme surfait, un peu minable, un peu lâche, à tendance mythomane, opportuniste jusqu’au bout des ongles, notre héros arrive pourtant à en devenir attachant et drôle, développant un instinct de survie et une capacité à rebondir assez incroyables. Regardant la belle Istanbul depuis les marches de l’établissement de jeux qu’il vient d’ouvrir, ne se déclare-t-il d’ailleurs pas lui-même « roi du monde » ? Mais avant d’en arriver là, il en aura vécu des péripéties ! De Pétrograd à Moscou, de Moscou à Kharkov, de Kharkov à Odessa, de Odessa à l'île d'Halki,de l'île d'Halki à Istanbul, tour à tour agent comptable, cocaïnomane, comte, tenancier de tripot, propriétaire terrien, vagabond, détrousseur, négociant grec, agent du contre-espionnage, mendiant, proxénète turque. Notre homme se laisse porter par les pict_12838évènements, emporté par les vagues du marasme russe de ces années de révolution, cherchant son profit là où il se trouve, laissant la grande histoire lui passer au-dessus de la tête pour mieux se la prendre de plein fouet dans la gueule. Il grimpe, dégringole, remonte, retombe, alternant sans cesse entre hauts et bas, passant de douces périodes d’insouciance à des moments de crise dramatiques.  Partout violence, partout folie, mais aussi romantisme. C’est raconté habilement, avec fluidité, au hasard des aléas de la vie de notre héros, enchaînement de scènes efficaces et éloquentes. Avec ça, des personnages secondaires bien campés, et une caractérisation très réussit des rôles principaux qui croisent la route de Siméon.

L’ensemble s’apparente ainsi à une sorte de douce symphonie, Pascal Rabaté ayant réussit à instaurer un Page003rythme particulier à sa bande dessinée, grâce notamment à de longs moments de silence où les dessins se suffisent amplement à eux-mêmes, à des pages construites autour de cases grand format, et à un texte peu abondant qui tape toujours juste. La construction des planches peut parfois être très intéressante et les arrière-plans, animés d’une vie propre, fort riches, mais c’est en premier lieu le style graphique de l’auteur qui saute aux yeux : de très beaux dessins noir et blanc à l’acrylique, des jeux de lumière intelligemment pensés, et des personnages aux courbes longilignes dont les expressions faciales sonnent plus vrai que nature. Un résultat de toute beauté, pour une bande dessinée qui n’en manque pas. Le chef-d’œuvre de Pascal Rabaté se trouve là, assurément.

28 mars 2012

L'Ascension du Haut Mal

monovolumePeu après Noël, assis sur le trône, j'entame la lecture d’un imposant pavé reçu en cadeau pour les fêtes, les yeux pétillant de joie. 2-3 jours après la nouvelle année, 6 heures du matin, allongé dans un canapé, je ferme la dernière page, les yeux humides, avec cette sensation d'avoir lu quelque chose de grand. Epuisé je pars me coucher, repensant encore une bonne heure au contenu du livre, puis m'endort la tête pleine d'images. 4 heures plus tard je me réveille, c'est décidé : il faut que je chronique cet album, que je partage mon enthousiasme, que je couche sur papier mon ressenti. Il s’agit de l’Ascension du Haut Mal, de David B, rien moins. Publiés entre 1996 et 2003 chez la bien célèbre maison d’édition indépendante L’Association, les 6 volumes de la série ont été réunit en novembre 2011 dans une intégrale de 400 pages (un « monovolume » comme on dit à l’Asso, terme assez ingrat au demeurant) et reste à ce jour l’une des pierres angulaires de l’autobiographie dessinée francophone, tant a été poussé par l’auteur le travail sur son propre passé, à une époque où l’autobiographie était encore très peu présente dans la bande dessinée hexagonale (qui sur ce point est très en retard par rapport à ses collègues américaine et japonaise). Une œuvre au succès critique retentissant qui inspirera notamment le Persepolis de Marjane Satrapi. Mais au-delà d’une simple autobiographie, de quoi s’agit-il précisément ?

 Il s’agit d’un auteur qui replonge dans ses années de jeunesse et nous raconte son histoire, articulée autour de la maladie de son grand frère Jean-Christophe, épileptique grave, dont la pathologie sert véritablement de fil conducteur à l’ensemble de l’œuvre tant on sent quel poids elle a pesé sur la vie de David B, qui semble s’être entièrement construit autour et par rapport à elle. Mais ce livre va bien plus loin que cette première approche. Là où beaucoup d’auteurs mettent leur vie en images en restant à la surface des choses, faisant se succéder tranches de vie et petites anecdotes du quotidien sans réelle réflexion sur soit et son vécu, David B joue la carte d’une introspection profonde, d’une auto-analyse intelligente et fouillée, d’une véritable pensée d’ensemble sur sa vie. Ainsi cette bande dessinée aborde un nombre très large de sujets, se faisant quasi tentaculaire par moments, parlant non seulement de l’auteur, de son frère et de sa famille, mais également de ses passions, d’Histoire, de littérature, du passé de ses ancêtres, de fables, de l’univers de la médecine alternative (macrobiotique, médecine chinoise, mysticisme, magnétisme, rebouteux, spiritisme, médiums, ésotérisme, vaudou... certains passages, peut-être trop descriptifs, peuvent d’ailleurs parfois devenir un peu rébarbatifs). L’auteur ne s’interdit aucune circonvolution mais ne nous perd pourtant jamais et arrive à nous passionner avec tout ce dont il parle, évitant de s'attarder trop longtemps sur un sujet, sautant de l'un à l'autre avec l'habileté d'un trapéziste. Ces éléments très variés s’enchevêtrent pêle-mêle, sans limite aucune, et nous font voyager dans la petite enfance de l’auteur, son adolescence, pour enfin déboucher sur sa vie d’adulte. On suit l’évolution de ses passions, les changements de sa personnalité, les transformations de la vie familiale, et surtout l’aggravation de l’état de son frère, lente plongée en enfer qui entraîne toute la famille dans son sillon, ascension vertigineuse vers les sommets du Haut Mal.

La période qui est au centre du livre, c’est avant tout l’enfance et l’adolescence de l’auteur, période de construction et de déconstruction continues, car au fond c’est bien de cela qu’il s’agit ici : d’une autopsie psychanalytique. Avec un recul impressionnant sur les évènements et sur soi-même, fruit d’un long processus d’introspection et de réflexion, David B nous offre David dessineune plongée abyssale dans son passé, ses fantasmes, ses angoisses, sa personne. En ressort une œuvre torturée, très noire, dérangeante par moments, mais dont ni la poésie ni l'onirisme ne sont exclus tant l'auteur est fasciné et attiré par l'univers du rêve et de l'imaginaire, alliant un sens du souvenir assez impressionnant à des métaphores graphiques et des allégories dessinées dont la force d'évocation se fait un peu plus puissante à chaque page. David B part dans son imaginaire pour mieux nous montrer sa réalité, sans jamais perdre le lecteur. Il s’en donne à cœur-joie et alterne ainsi entre des séquences aux découpages simples et des planches aux compositions graphiques très riches, son dessin minimaliste possédant cette sobriété, cette pudeur, cette humilité que seuls quelques auteurs ont su apprivoiser, soutenue par une remarquable maîtrise des ombres et des aplats de noirs, contrastes harmonieux entre bancheur éclatante et noirceur parfaite. Résultat élégant, esthétique, unique et unie. On se laisse aller de cases en cases, portés par une voix-off à la syntaxe simple, presque enfantine, toujours au présent, donnant ainsi aux mots, lorsqu’associés aux images, une force imparable.

 Car cette BD est un tout. Un tout dont chaque élément est indissociable de tous les autres. Un tout qui nous porte et porte en lui toute l’essence d’un être et d’une histoire. L’auteur nous pousse indirectement à nous pencher sur nous même, à questionner notre passé, regarder ce qui nous a construit avec recul. Pour ainsi dire, L’Ascension du Haut-Mal ne nous concerne pas, mais nous parle tellement... Merci David. Merci Pierre-François.

 «Un ricaneur ? si vous saviez, monsieur, j’ai le sourire des têtes de mort.»

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23 mars 2012

Hommage à Jean Giraud/Gir/Moebius

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Samedi 10 mars 2012 ce n'est pas un artiste qui nous a quitté mais trois entités, la sainte-trinité de la bande dessinée moderne : Gir l'académique, Moebius le virtuose, et Jean Giraud, l'homme. Plutôt qu'une nouvelle hagiographie qui viendrait s'ajouter à la longue liste de celles publiées dans la presse écrite, sur internet, à la télévision et à la radio, voici plutôt 73 dessins du maître, illustrations, planches, couvertures, peintures, croquis, pour rendre hommage aux 73 années de sa vie qu'il a presque toutes entières consacrées à la bande dessinée. Variété des styles, des supports, des techniques, j'ai essayé de faire une sélection représentative de l'ensemble de la carrière du bonhomme. Bonne route.

 

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9 janvier 2012

Hellblazer - Hard Time

hellblazer couvJohn Constantine, notre John Constantine, héros de la série Hellblazer depuis 1988, british nonchalant, irrévérencieux et désagréable à l'humour cinglant, maître de l'occultisme enquêtant sur des affaires paranormales, se voit plongé le temps de cinq épisodes dans les turpitudes de l'enfer carcéral. Monstre difforme qui engloutit ses enfants sous un flot de haine et de violence, la prison fantasmagorique imaginée par les géniaux Brian Azzarello et Richard Corben n'a jamais été aussi inquiétante qu'ici. L'enfer de Dante, partagé entre les Bloods, les Frères Aryens, les Musulmans, les Motards, les Chicanos, les Affranchis et les Perpett'. Un fragile équilibre que John Constantine, de par sa personnalité charismatique, sa force de caractère, son impertinence et sa paire de couilles, va peu à peu faire voler en éclat jusqu'à l'explosion finale. Il fascine, intrigue, manipule, déstabilise.

Les deux auteurs américains en charge de cet arc sont ici au sommet de leur art respectif. Brian Azzarello, plus connu pour les qualités de sa série 100 Bullets, nous offre un scenario torturé, extrêmement violent, qui utilise des chemins de traverses plutôt qu'une narration linéaire pour raconter son histoire, jalonnée de scènes pleines de sous-entendus et de protagonnistes aux personnalités fortes et marquées, en premier lieu desquels John Constantine, énigmatique et fascinant au possible, sans oublier les autres fous furieux de la prison, l'inquiétant Stark au charisme prégnant, le roublard Traylor tout en rapport de force, le faible La Douceur pour lequel on resent autant de dégoût que de pitié... Autant de protagonistes pour ce drame théâtrale en cinq actes, exalté par un sens du dialogue hors du commun, fait de passes d'arme sèches, tranchantes, tout en non-dits et en phrases chocs, en répartit et en allusions, portées par un argot grand cru (il faut féliciter ici la très bonne traduction de Jean-Marc Lainé).

Toutes ces qualités sont indéniables, mais que deviendraient-elles sous un pinceau non adapté, pas à la hauteur, peu en symbiose avec l'ambiance instillée par Brian Azzarello? Nous ne le saurons jamais tant Richard Corben arrive 70890992à atteindre une alchimie parfaite entre son style unique et le propos du scénariste, donnant toute son ampleur à l'album, magnifiant les dialogues et les situations mises en place par son compère. Peut-être la plus grande réussite de cette légende de la BD américaine, qui compte déjà 35 ans de service à son actif. Découpage clair et sans fioriture, visages disloqués, pris sur le vif, tout à fait moches dans leurs déformations, murs crasseux, ombres massives, atmosphère épaisse et humide. L'encrage est lourd, granuleux, tout en pointillés, utilisant à merveille les ombres, alourdissant n'importe quel pan de matière, rendant cet univers suffoquant. "Le trait de Corben est de chair, de graisse et de tendon, de rictus et de grimace, replet et pendouillant, squarneux et fibreux, gras, veiné, ridé, vergéturé", écrit Jean-Marc Lainé, qui en plus de la traduction signe aussi la (très bonne) préface de l'album.

La suite de ce livre, éditée en France chez Toth, toujours scénarisée par Brian Azzarello, accompagné cette fois par Marcello Frusin, aura moins d'impact. Peu importe, ça n'enlève rien au sommet de noirceur que voici, bijou sale aux multiples facettes.  

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15 décembre 2010

Trop n'est pas assez, chef-d'oeuvre d'outre-Rhin

couv72En cette fin d'année littéraire comme à son habitude surchargée de nouveautés, un chef-d'oeuvre est venu grossir le flot des albums neufs qui font ploire les étales de nos chères librairies spécialisées : Trop n'est pas assez, dont on doit la publication française à l'éditeur ça et là, qui est allé le dénicher outre-Rhin où le livre est sortit fin 2009 et a fait grande impression en Germanie sous le titre barbare de Heute ist der letzte Tag vom Rest deines Lebens (rien compris). Ulli Lust raconte dans ce pavé de 450 pages un épisode marquant de sa vie d'adolescente, au temps où, jeune punk viennoise de 17 ans, elle décide de partir pour l'Italie avec son amie Edi, sans bagages, ni argent, ni papiers, seulement leur courage et leur liberté. Nous sommes en 1984, et une véritable aventure commence alors, entre grosses galères, vrais drames, joies réelles et rencontres originales. Un périple qui va en fait doucement se révéler être un véritable cauchemard éveillé.

Nous allons ainsi suivre Ulli et Edi de Verone à Rome, de Naples à Palerme, et découvrir le portrait de deux femmes que tout oppose : l'une, Ulli, est assez débrouillarde, un brin romantique, naïve par certains côtés mais pourtant tellement ancrée dans sa réalité, rebelle et affirmée, qui entend vivre sa vie au jour le jour comme bon lui semble. L'autre, Edi, est une nymphomane excentrique, inconsciente et insouciante, espiègle, assez loufoque, qui aime se savoir désirée. Deux personnalités très différentes qui vont pourtant partagé un morceau de vie important de par son intensité, une véritable Odyssée moderne qui les mènera jusque dans l'antre des caïds de la mafia sicilienne.

Ulli Lust dépeint ainsi ce voyage initiatique d'une manière très crue, sans faire de concession, sans complaisance ni voyeurisme non plus, avec la maturité que 25 ans de recul lui ont permis d'acquérir face à des souvenirs pas toujours faciles. Cette chevauchée de quelques semaines fut en effet une expérience humaine brutale, Ulli étant confrontée à une violence sexuelle constante, à la drogue dure, l'agressivité, la prostitution, la mendicité, la débrouille. Le portrait que l'auteure fait de l'Italie de l'époque, et en particulier celle du sud (plus les jeunes filles descendent et plus leur situation semble s'aggraver) est en effet peu flatteur (est-ce différent aujourd'hui?), entre valeurs rétrogrades, lubricité exacerbée des hommes et violence omniprésente. Mais c'est sans compter sur les joies, les rires, le plaisir de voyager, la générosité des Italiens qui ont un vrai respect pour les gens dans le besoin, les nombreuses rencontres, certaines enrichissantes, d'autres inquiétantes, des décevantes et des originales, et surtout une jeune fille qui se découvre et découvre le monde, se cherche, se construit et se reconstruit.

Trop_extrait_1Ce récit à la narration impeccable et aux dialogues d'une extrême justesse prend véritablement aux tripes, avec une intensité que rarement une bande dessinée aura réussit à atteindre. Un récit drôle et touchant, beau et fort. L'immersion est totale, l'empathie provoquée par Ulli impressionnante : nos émotions voguent au rythme des siennes, on angoisse, respire, déprime, explose avec elle, on ressent montées d'adrénaline et abattements fatalistes en même temps qu'elle, s'attachant très vite à cette adolescente plongée dans un univers qui n'est pas le sien. Un véritable tour de force scénaristique, porté par un dessin en bichromie verte jeté et instinctif qui ne trouve son intérêt ni dans la beauté, ni dans la précision, ni dans le sens du décor mais bien dans son expressivité extrême, la justesse des attitudes qu'il met en scène et la force d'évocation qu'il possède, avec parfois quelques effets graphiques qui servent à merveille le propos.

Trop n'est pas assez est un chef d'oeuvre du 9e Art, combinant tout ce que la bande dessinée autobiographique peut offrir d'authentique et de poignant. Un témoignage humain et sociologique fort sur la jeunesse, la galère, le road-trip, le rapport homme-femme, l'idéal punk et le système de valeurs si particulier de l'Italie. Une bande dessinée simple, humaine, touchante, drôle, brute, sauvage. Un choc énorme.

17 mai 2010

Astonishing X-Men, by Joss Whedon et John Cassaday

Asto_gagBeaucoup de gens aimeraient se lancer dans la lecture de comics X-Men, qu'ils connaissent le plus souvent par le biais du cinéma ou de la télévision, mais ne savent pas vraiment par où commencer : trop de titres, de séries et de volumes parus, trop de "numéros 1", de personnages, de passif. De plus si la licence X-Men a connu beaucoup de bon, elle a aussi eu bien trop de pire. Et parmi le bon, il y a Astonishing X-Men : en plus d'être très réussit, cette série a l'avantage de se suffire à elle-même, pas besoin d'avoir des connaissances particulières pour comprendre l'histoire et ses enjeux (à quelques détails près bien sûr). C'est donc un choix parfait pour faire un premier pas dans l'univers des mutants. Aux manettes on a Joss Whedon, scénariste plus habitué au petit écran (il a lancé la série Buffy contre les Vampires) qu'au 9e Art, et John Cassaday, "dieu de l'illustration" selon le très respecté scénariste Warren Ellis, ayant notamment travaillé avec le français Fabien Nury sur Je Suis Légion (Les Humanoïdes Associés). Paru entre 2004 et 2008 aux Etats-Unis, Astonishing X-Men compte 25 épisodes (dont un Giant Size) divisés en quatre arcs (histoires), disponibles en France dans deux volumes Marvel Deluxe publiés par Panini Comics et facilement trouvables en librairie (le deuxième volume est sortit il y a un mois).

On y retrouve une nouvelle team d'X-Men dirigée par Scott Summers alias Cyclope, entouré d' Emma Frost, Wolverine, Le Fauve, Kitty Pride et Colossus. En plus de cette équipe centrale la série met également en scène les jeunes mutants en formation de l'institut du professeur Xavier (notamment Hisako Ichiki alias Armor), ainsi qu'une flopée de nouveaux personnages (l'extra-terrestre Ord, l'androïde Danger, l'agent Brand...) et d'éléments neufs (l'organisation spatiale SWORD, le Breakworld...). La série compte quatre histoires successives liées les unes aux autres. Les X-Men vont ainsi tour à tour faire face à la menace représentée par un vaccin anti-mutant, affronter une entité électronique ayant accédé à l'intelligence artificielle, combattre de vieux ennemies dans une bataille télépathique, et enfin clore le titre par une bonne vieille saga cosmique. Autant d'intrigues prenantes qui nous tiennent en haleine de la première à la dernière page.

Wolverine_Vs_The_BeastEn tout cas, s'il y a bien un domaine que Whedon maîtrise et qu'il a parfaitement développé, c'est celui des personnages. Il utilise à merveille les caractéristiques de chacun d'eux pour mieux leur donner épaisseur et profondeur, et arrive à installer une véritable interaction entre chacun d'eux. Bien plus que l'histoire ou l'action, ce sont bien les personnages qui sont mis en avant sur ce titre, Whedon nous offrant une leçon de développement psychologique et de caractérisation des personnalités. Il faut aussi noter qu'il a réussit à exploiter mieux que quiconque les particularités des pouvoirs de chacun pour mieux faire de chaque X-Man une pièce maîtresse de l'équipe.

Avec ça Whedon a de bonnes idées qu'il met intelligemment en scène, même si sa narration n'est pas sans défauts. Il y a pourtant une vraie fluidité dans l'écriture, les scènes s'enchaînent facilement et avec rythme, tout cela se lit agréablement et sans problème, et le dosage entre action, légèreté, drame et humour semble parfait. C'est plutôt au niveau du développement des histoires que Joss Whedon montre ses faiblesses : il y a des ellipses maladroites voir complètement ratées, des éléments sortis d'on ne sait où, des parties mal développées... c'est d'autant plus vrai avec la dernière histoire sur laquelle, bien que très bonne, l'auteur semble avoir manqué de place et donc dût un peu expédier le développement du récit. Reste néanmoins qu'il est un très bon scénariste, et un véritable as de la mise en scène : avec ses découpages prenant souvent la forme de cases verticales se superposant les unes par-dessus les autres, donnant un effet 16/9 qui accentue l'aspect cinématographique de l'oeuvre, Joss Whedon atteint un niveau d'efficacité impressionnant, c'est prenant, réussit, fluide, et encore une fois proche du cinéma. Le scénariste réussit tout ses effets et parvient ainsi à donner une rare intensité à ses scènes dramatiques et une véritable énergie à ses scènes d'action, n'hésitant pas à étaler ces séquences sur beaucoup de pages, se donnant tout les moyens de nous amener là où il veut nous amener. Mais cette mise en scène de qualité ne serait rien sans l'incroyable travail de John Cassaday.

Wolvie_bi_reCe dessinateur de talent nous rend en effet un travail impeccable. Son style ultra-réaliste semble en parfaite adéquation avec le scénario de Whedon. L'auteur ne se ménage pas et nous sert de grands dessins très travaillés, parvient à donner chair sans problème à toutes les idées de son compère scénariste, sait représenter admirablement le mouvement quand cela est nécessaire et donner dans la lenteur et le solennel lorsque ça s'y prête. Bref un style assez académique mais vraiment grandiose, et qui pourrait paraître froid sans l'excellent travail de la coloriste Laura Martin. Sa colorisation tout en contraste est un vrai plaisir pour les yeux, faisant de temps à autres dominer telle ou telle nuance sur telle ou telle séquence, permettant une lisibilité parfaite, faisant se côtoyer des couleurs bien appuyés dans une parfaite harmonie.

Astonishing X-Men n'est au final pas une série sans défauts mais reste une véritable réussite selon moi, étant parfait pour se lancer dans l'univers des mutants. Porté par un graphisme accrocheur en parfait adéquation avec le propos, ce titre brille par sa mise en scène, la psychologie fouillée de ses personnages et des histoires prenantes, en plus d'être vraiment bien écrit. Une de mes meilleures lectures chez Marvel.

13 mai 2010

Je ne t'ai jamais aimé, de Chester Brown

je_ne_t_aiLes éditions Delcourt ont décidé de rééditer ce mois-ci une oeuvre majeure de la bande dessinée autobiographique américaine : Je ne t'ai jamais aimé (I Never Liked You en VO, paru en 1993 chez Drawn and Quarterly), chef d'oeuvre de Chester Brown, auteur canadien devenu l'un des principaux représentants de la BD intimiste anglo-saxonne, et par ailleurs grand ami de Joe Matt. Plus que de l'adolescence de Chester, cet album traite du rapport qu'il a entretenu avec les femmes, celles de son âge tout d'abord, mais également sa mère au comportement quasi-schyzophrénique, durant ses jeunes années (entre 9 et 17 ans environ selon les précisions de fin de volume, la majeure partie du livre se déroulant néanmoins durant la période lycée). Des rapports fait de distance et de complicité, d'attirance et de rejet, avec en toile de fond les moqueries des camarades de Chester à propos de sa pudibonderie. L'auteur se dépeint ici comme un jeune homme froid et complètement impassible, une attitude qui laisse néanmoins émaner une mélancolie à fleur de peau.

Chester Brown raconte cette période de sa vie à travers un récit tout en finesse, sensible et délicat, il dresse petit à petit un tableau touchant de son adolescence amoureuse, faisant, à la manière des pointillistes, de petites touches isolées un tout cohérent. Son histoire est en effet construite à partir de courtes scènes, de souvenirs brefs étalés sur très peu de pages (rarement plus de 3-4), ce qui donne à la lecture un rythme certain, le livre étant difficile à lâcher une fois qu'on l'a commencé. On regrette néanmoins que l'auteur canadien ne se soit pas de temps en temps attardé plus longuement sur l'une ou l'autre séquence, afin de poser le récit, mieux développer une situation, approfondir une discussion. Mais c'est aussi ce qui fait l'originalité de cet ouvrage.

preview_pageLe découpage particulier du livre, marqué par l'importance laissée aux espaces vierges, l'absence de véritables bandes, et l'utilisation régulière de planches entièrement blanches avec juste une petite case isolée au milieu, permet d'instituer un rythme très agréable, une impression de douceur et de finesse, et soutient à la fois dialogues et jeux de silence. Au niveau du dessin, disons-le tout de suite : ça n'est pas très attrayant au premier abord. Le trait est hésitant, malhabile, pas très beau, les corps presque difformes, et pourtant s'en dégage une douceur certaine, une sorte de mélancolie qui imprègne les pages de l'album.

Fin, délicat, touchant, sensible... autant de qualificatifs qui correspondent parfaitement à ce livre, en plus d'être assez universel. Et comme souvent avec les récits en tranche de vie, l'histoire se clôt de façon plutôt abrupte, sans véritable fin, et nous laisse en état de manque. Et avec Je ne t'ai jamais aimé, quel manque!

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