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Et si... Bède le Vénérable avait lu Akira Toriyama
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21 mars 2010

Starman, de James Robinson et Tony Harris

couvertureLes années 40 ont vu fleurir, à la suite de Superman et Batman, de nombreux personnages de super-héros, et en particulier du côté de la maison d'édition DC Comics. Parmi eux Starman, apparu en 1941. Bâton cosmique entre les mains, tenue bariolée sur le dos, Ted Knight (de son vrai nom) s'en allait vivre des aventures aux côtés de la Justice Society of America ou au sein de sa propre ville, Opal City. Beaucoup de personnages reprendront par la suite l'identité du héros, laissée aux mains de divers scénaristes, avec des histoires qui n'ont apparemment pas particulièrement marquées le lectorat. Jusqu'à l'arrivée en 1993 d'un nouveau duo sur le titre : l'anglais James Robinson et le dessinateur Tony Harris, qui font repartir la série au numéro 0, et vont lui faire atteindre une qualité évidente, certains allant jusqu'à qualifier Starman de meilleur comics super-héroïque des années 90. Edité en France par Panini Comics, un volume de 17 épisodes (420 pages) a pour l'instant été publié dans nos contrées en octobre 2009 dans la collection Omnibus, et quatre autres devraient venir le rejoindre sur nos étagères (la publication semble d'ailleurs être assez rapide puisque deux tomes sont prévus pour 2010, en avril et octobre).

En tout cas, au milieu des années 90 et de tout ses travers en termes de comics (muscles surgonflés, poitrines ultra-siliconées, flingues gigantesques, couleurs criardes, violence gratuite...), le Starman de James Robinson et Tony Harris fait office d'ovni et n'a pas pris une ride. Au départ de l'histoire Ted Knight, le Starman des origines, a raccroché les gants depuis un moment pour vivre une tranquille vie de retraité passionné de physique, laissant sa place de super-héros à son fils David. Lequel est assassiné... en page 3 du numéro 0. Reste Jack, l'autre fils de Ted, rebuté par l'univers des capes et des collants mais qui va pourtant bien devoir finir par se résigner, subir l'héritage familial malgré lui. Une partie des fondations de la série tient d'ailleurs là-dessus, sur l'idée d'un patrimoine paternel, d'une destinée familiale qui va finir par rattraper Jack, lequel mettra d'ailleurs un bon moment avant de succomber et d'accepter son nouveau statut de héros (10 épisodes pour être à peu près exact). Parce que Jack n'a pas vraiment le profil qu'on pourrait attendre : collectionneur de bibelots, amateur de vieilleries, vivant chichement de son métier de brocanteur, aimant par dessus tout négocier des pièces rares de jouets Kellog's ou des fauteuils art déco, grande gueule, tatoué par-ci par là, plutôt ringard, plutôt bagarreur, pas bien sûr de lui. Bref, un antihéros auquel on s'attache assez vite, assez cérébral mais également plutôt bien décérébré, que la faillibilité et l'atypisme rendent sympathique.

Starman_bagardPlaisir de la Rétine

Maintenant que les présentations sont faites, commençons par nous pencher sur l'aspect graphique de la série. Disons-le tout de suite : j'ai été charmé, Tony Harris fait des merveilles et ses planches n'ont absolument pas souffert de l'effet du temps. Son style est atypique, peut-être un peu déstabilisant pour certains au premier abord mais possédant une indéniable identité, bien qu'il faille attendre le cinquième épisode (le numéro 4 donc, puisque la série commence au 0) du présent volume pour le voir s'imposer. Mais Harris n'est pas seul, il a ses côtés tout d'abord Gregory Wright, coloriste qui rend un travail impeccable : sa colorisation plutôt vive, bien contrastée, est véritablement agréable à l'oeil, avec de temps à autres, sur telle ou telle séquence, une couleur qui domine, comme ce magnifique épisode 5 ("Discussion avec David, 1995") tout en niveaux de gris, véritable régal pour la rétine. L'autre bras armé d'Harris est Wade Von Grawbadger, qui par son encrage épais, net et précis soutient parfaitement le trait du dessinateur dont il a la charge. Et ce dessinateur-là a du talent : son trait est sec, cassé, avec assez peu de rondeurs, comme saccadé, son style épuré oscille parfois vers quelque chose de plus détaillé, l'expressivité de ses visages est réussit ; au niveau de l'action et du dynamisme en revanche ça pèche un peu mais Harris sait prendre en compte cette faiblesse et arrive tant bien que mal à la tourner à son avantage. Avec ça on a un découpage intéressant, plutôt éclaté, plutôt déconstruit, les cases pouvant avoir des formes assez variées, donnant parfois lieu à des assemblages complexes, ce qui n'est pas le top pour la lisibilité mais accompagne parfaitement le style de Harris et lui permet de s'exprimer pleinement.

Plaisir des Synapses

Starman_grisNiveau scénario, disons-le tout de go (notez cette expression de haute volée) : les aventures de Jack Knight ne ressemblent à pas grand chose d'autre. Préférant de loin le négoce de bibelots à l'épopée homérique, le personnage de Jack ne se prête en effet pas tellement aux canons traditionnels du genre super-héroïque. Le nouveau Starman évolue ici dans un univers bigarré, ses ennemies sont farfelus et extravagants, les situations et personnages fantaisistes et pas crédibles pour un sous, la ville d'Opal City (à laquelle Robinson a semblé vouloir donner une vraie personnalité) assez étrange et ne ressemblant à rien d'existant. Un petit côté old school donc, associé pourtant à une écriture et une manière d'envisager le scénario très modernes : les personnages ont du volume et de la profondeur, l'accent n'est pas mit sur l'action mais plutôt sur ce qu'il y a autour, les dialogues sont "naturels" et réalistes, le manichéisme assez peu présent, les scènes de bastons plutôt violentes (voir le dernier épisode) qu'esthétiques, etc... ce savant mélange de tradition et de modernité permet de donner un ton vraiment original à la série, avec un côté décalé et léger certain, tout en gardant une part de noirceur assez forte.

Ce qui marque ensuite c'est l'importance du texte, abondant. Que ce soit dans des bulles, des encadrés laissant la parole au narrateur ou d'autres retranscrivant les pensées (fouillies) de Jack Knight, Starman est un comics verbeux. Et c'est tant mieux, car James Robinson a un vrai talent d'écriture qu'il déploie sans se limiter, laissant toute leur place à de longs monologues intérieurs, des digressions à rallonge et des dialogues alambiqués. Un plaisir, car lire du Robinson est vraiment agréable. Ses textes sont d'ailleurs très référencés, l'Anglais prenant plaisir à parsemer ses récits d'abondants éléments divers et variés. Starman touche ainsi à de nombreux domaines : littérature, cinéma, peinture, musique, design, architecture... on s'y perd un peu par moments tellement les références peuvent être pointues, mais on sent que Robinson se fait plaisir en essayant de caler tout ce qu'il aime et le passionne dans sa série, et ce n'est d'ailleurs pas un hasard si ce collectionneur chevronné a fait de son héros Jack Knight un brocanteur.

Il déploie par ailleurs un panel de personnage de haute volée : loufoques et originaux, aux particularités bien marquées, les êtres que fait se mouvoir Roby finissent par devenir vraiment attachants, que ce soit le balèze abruti et poète Grundy, le mutique extra-terrestre Mikaal Tomas duquel émane une force sans pareil, l'étrange et dérangée fille de La Brume, le fantomatique gentleman à l'ancienne qui se fait appeler L'Ombre, le vieux Ted Knight qui dégage toute la force tranquille propre à ceux qui ont vécue... Avec cela les scenarii se goupillent très bien, des détails éparpillés ici et là sont réutilisés plusieurs épisodes plus loin, des personnages réapparaissent, de diverses sous-intrigues naît une nouvelle histoire... bref, la construction scénaristique est intéressante et bien pensée. Manque néanmoins peut-être un petit souffle épique. À trop vouloir faire dans le cérébral, et même si c'est un vrai plaisir, cela nui au côté épopée que James Robinson a semble-t-il parfois voulu intégrer à ses intrigues.

Le meilleur comics des années 90? peut-être pas, mais nous avons en tout cas là un comics baroque et jouissif qui sort du lot, qui possède une identité forte et tend à chaque case vers l'originalité. Les auteurs se sont fait plaisir et ça se sent.

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